Louis Laurain & Die Hochstapler : "Braxornette"
Faces and Places. Un thème d'Ornette Coleman que vous ne connaissez peut-être pas, mais dont la couleur est immédiatement identifiable. On y retrouve ce compositeur de thèmes étonnants, acidulés, qui restent nichés dans les recoins de la mémoire, souvent dansants (eh oui), un peu à l'image de ceux de la grande épopée du hard bop dont il s'était pourtant dégagé avec vigueur.
Peut-être en raison ses racines profondes dans le blues, fût-il "harmolodique", peut-être l'obsession du lien à conserver avec sa communauté, sa culture joue-t-elle aussi, ce qui ne l'empêcha pas de perforer une ouverture vers des horizons radicalement neufs.
Rien de tout ça chez Braxton. On l'a parfois raillé pour ses références dans la musique "blanche" : le jazz bien sûr (Warne Marsh, Lennie Tristano ...), mais aussi la musique contemporaine (il avait je crois soumis une partition à Darmstadt). On a été surpris par les titres de certaines de ses pièces, des graphismes faisant penser à Miro ou à Calder. Contrairement au mythe du musicien inspiré en lien direct avec la divine création, on l'a vu venir sur scène avec un énorme sablier : au bout d'une heure, la partie haute était vide, et le concert s'arrêtait, point.
Deux figures encore actives, productives : l'une encensée, vénérée, le public ayant la larme à l'oeil à chaque reprise de Lonely Woman; l'autre éternellement au purgatoire, reconnue (inévitable tout de même compte tenu de sa stature), oui mais du bout des lèvres . Combien de "Tribute to" Braxton ? Pas trace dans mes agendas parisiens depuis 2005.
Et voilà qu'un quarteron de jeunes "mécréants" de la musique s'emparent de ces deux figures aussi dissemblables dans un projet unique : Die Hochstapler, "Les Imposteurs". Ils s'en saisissent avec semble-t-il deux intentions : révéler ce que ces musiques ont encore à dire de neuf, bien après les messages des deux prophètes, et d'en faire une forme de tremplin pour une musique originale, la leur.
Faces and Places, par exemple, démarre par des roulements obsédants et délivre d'emblée un thème et une musique d'urgence, vitale. Même frugalité que dans le quartet d'Ornette de l'aube du free, même nécessité, couleurs très voisines, mais véritable redécouverte de la beauté d'alors aux lumières d'aujourd'hui. Un insolent solo de Louis Laurain après lequel celui de Pierre Borel paraît faussement sage, quasi parkérien par ses instants de balancement, avant que leurs chants s'entrecroisent pour l'un des plus beaux free entendu. Et un final en forme de solo de batterie. On ne se refuse rien !
Sauriez-vous identifier, caractériser la "couleur" de la musique de Braxton ? Pas évident tant cet artiste est protéïforme, tant il a multiplié les projets, les rencontres, les défis. Et pourtant, dès les premières notes de "40L/40F" joué par ce 4tet, on y retrouve l'influence des musiques à trous qu'il a su si bien s'approprier. Un quartette à la musique toute en retenue, avec des notes claquées, avant un ostinato à l'archet, véritable fondation pour des improvisations quasi répétitives, une atmosphère ténue, étrange où les matières sonores s'entremêlent. Une illustration flagrante de la proximité entre Braxton et les musiques improvisées. Une cloison bien mince que la bande des quatre lacère. Et quelques notes finales, comme suspendues, esquissant à peine un semblant de thème d'Ornette.
Place à la musique :
Lien direct : https://soundcloud.com/louis-laurain-1/sets/die-hochstapler
Pierre Borel : sax alto / Antonio Borghini : contrebasse /
Tobias Backhaus : batterie / Louis Laurain : trompette
De cette proximité des deux figures, Ornette et Braxton, de cette promiscuité, est né un être hybride, un "Braxtornette", assumant une génétique parfois incertaine (on y décèle aussi du bop, de la walking bass, que sais-je encore).
Lien direct : https://vimeo.com/65739359
Musiciens : Antonio Borghini (b), Pierre Borel (as),
Hannes Lingens (dr), Louis laurain (tp)
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Précisions de Louis Laurain :
Pour info nous sortons un double disque autour de la musique d'Ornette et Braxton sur Umlaut records en octobre. Ce projet s'articule en quatre parties (faces and places sera sur le premier disque). Ensuite le personnel varie un peu sur les autres disques. La quatrième partie est un double quartet avec Peeping Tom (P.A. Badaroux/Joel Grip/ Axel Dorner/ Antonin Gerbal)
La sortie de disque aura lieu a Paris le jeudi 24 octobre a la cave d'Umlaut (Rue Polonceau 75018).
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Site de Louis Laurain : http://louislaurain.blogspot.fr/