John Coltrane Offering Temple University 1966Pour cette reprise de Flux Jazz, je propose un retour aux sources, avec un saut d'un demi siècle.

Au début de 1964, on pouvait se régaler des provocations de Monk et des colères de Mingus. Le jazz était alors totalement bouleversé par Coltrane, Dolphy et Ornette. Déjà, Albert Ayler pointait un sax iconoclaste au lyrisme puissant. Miles et Art Blackey faisaient flamboyer le hard bop et Duke Ellington s'était frotté aux défricheurs du moment et avait gravé avec eux des plages d'une confondante beauté : Money Jungle (avec Mingus et Roach), et en duo avec Coltrane.
De tels talents n'étaient pas isolés, bien sûr.

Puis trois déflagrations, trois destins tragiques, à trois ans d'intervalle : 1964 (Dolphy), 1967 (Coltrane), 1970 (Ayler). Le jazz changeait d'orbite.

Avec le temps, après les sifflets et les vociférations accusant Coltrane d'imposture ("ils sont deux à souffler"), vint le temps de la béatification, avec en guise de sainte trinité le quartette mythique de My Favorite Things. La suite n'était pas ignorée, mais ne constituait pas le coeur de l'épopée : une manière peut-être d'évacuer le traumatisme de sa disparition; peut-être aussi pour n'avoir pas à digérer de surcroît une musique bien plus abrupte.
Et depuis le début de cette année 2014, une résurgence de l'actualité coltranienne.
On retrouve par exemple un enregistrement étonnant, d'assez mauvaise qualité, mais qui constitue un témoignage bouleversant de sa collaboration avec Eric Dolphy* .
Et, ô miracle, on retrouve aussi la quasi intégralité du concert de Temple University de 1966 (une version plus longue d'1/2 heure que le CD déjà publié). Un document techniquement retravaillé qui devrait sortir en double CD, chez Impulse, le 23 septembre prochain, date anniversaire de la naissance du "Geant" (1926). Déjà au mois d'avril dernier, FIP sortait l'info.

Le disque n'est pas encore publié qu'on dispose de trois chroniques et d'une vidéo pour un parler. D'autres témoignages viendront, c'est certain. La machine promotionnelle est bien lancée. Pensez-y pour les cadeaux de fin d'année.
Comme je ne dispose pas de cet enregistrement (Impulse aurait dû me l'envoyer, c'est sûr), je propose un détour vers YouTube pour la version déjà commercialisée. Il s'agit du son de Crescent (26mn, en deux parties), avec pour seule image, la pochette d'alors.
Dès l'exposition du thème, le ton est donnée : il s'agira d'une plage sombre, torturée. La version de 1964, avec le 4tet historique, paraît bien douce (voir plus bas). Au bout de trois minutes, on attend le solo du maître, mais c'est Pharoah Sanders qui prend la parole pour ne pas la lâcher sept minutes durant. Des sonorités tourmentées, toutes de roulements, d'une intensité inouïe, d'une expressivité totale. Des sons doublés puis des cris étranglés qui laissent pantois. Lorsqu'Alice Coltrane prend la relève, c'est l'accalmie, toute relative (" Imagine Oscar Peterson sous LSD" dit AllAboutJazz). La 2eme video débute par la suite de son solo, suivi d'un saxophoniste, Arnold Joyner (était-il invité ?) comme transporté par l'ambiance folle de ce concert. Enfin, Coltrane intervient. Un chant, au lyrisme puissant, un chant obsessionnel tout de vibrato (un zeste d'Albert Ayler ?), un chant torturé, déchiqueté.
Que jouer après ça ? L'orchestre s'arrête.

Crescent 1 https://www.youtube.com/watch?v=Dxi60tAygbQ


Crescent 2 (dont solo de Coltrane) : https://www.youtube.com/watch?v=DK-7-BMFMCI


Une formation originale : John Coltrane (ts, ss, fl, voix), Pharoah Sanders (ts, piccolo), Alice Coltrane (p), Sonny Johnson (b), Rashied Ali (dr), Arnold Joyner & Steve Knoblauch (as), Umar Ali, Robert Kenyatta, Charles Brown & Algie DeWitt (perc)
Les CDs : #1 Naima; Crescent. #2 Leo; Offering; My Favorite Things

En attendant la parution du double CD, on pourra visionner un documentaire, faisant intervenir en particulier le fils (Ravi Coltrane) et Ashley Khan, le biographe incontournable du moment.

On lira avec intérêt la chronique de Bruno Pfeiffer dans "Ca va jazzer", relayé par Liberation.
Enfin, deux chroniques en anglais (même moi j'arrive à comprendre) : The Blue Moment et All About Jazz .
Et, comme promis, la version de 1964

Crescent en 1964 : https://www.youtube.com/watch?v=VHEv110bHUA



* sur FaceBook, séquence Coltrane - Dolphy de 20mn, impossible à relayer. Abonnez-vous à la page "Coltrane Research" et cherchez le post du 15 mars 2014
"A lo-fi recording of mysterious origin, this is a most intense version of Impressions, with Trane and Eric filling up the 20 minutes -- McCoy can't get a solo in edgewise. For the Coltrane Research page only, this one won't be going up on u2b."
Une page passionnante, faut-il le dire ?

Lien utile : http://www.johncoltrane.com/